I. Quatre inventeurs et une polémique pour commencer

Ralph Bear
Ralph Bear, le « père du jeu vidéo »

En 1958, le physicien américain Willy Higinbotham met au point un jeu de tennis avec un écran d’oscilloscope et un ordinateur analogique. On lui attribuera selon les époques plusieurs noms : Tennis Programming, Tennis for two, ou encore Tennis Willy. Willy Higinbotham ne pensa pas à breveter cette invention, ne croyant pas dans son destin industriel. Ainsi de par l’antériorité de la date, W.H est souvent présenté comme l’un des pères du jeu vidéo à côté de trois autres américains : Steve Russell, Nolan Bushnell et Ralph Baer. Quatre décennies plus tard, la question de la paternité du jeu vidéo a déjà largement fait débat aux Etats-Unis. Dans plusieurs textes consacrés à cette question, Ralph Baer, inventeur de la console Odyssey Magnavox revendique avec force la paternité du jeu vidéo. Il remportera d’ailleurs toute une série de procès, dont un contre Atari et Nolan Bushnell au début des années 70, et plus tard contre la société japonaise Nintendo, procès qui furent l’occasion de faire le point sur les brevets d’origine mais encore de sortir de l’anonymat l’ingénieur du Brookhaven National Laboratory, Willy Higinbotham, mais encore l’ingénieur du MIT Steve Russell.

Baer découvre l’existence d’Higinbotham en 1985 lors du procès qui oppose sa société Sanders à Nintendo sur le brevet des consoles. Dans un texte publié en 1999, Ralph Baer tente de remettre en ordre ces inventions successives. Il rappelle donc que W.H. utilisa un oscilloscope et un ordinateur analogique. Or pour lui, un jeu vidéo se joue sur un écran de télévision standard ou sur un moniteur télé, car par définition précise-t-il : « le jeu vidéo utilise le procédé vidéo ». Selon R. Baer, Higinbotham se contenta de connecter l’ordinateur analogique à l’oscilloscope et reproduisant le mouvement balistique. Il souligne qu’après la seconde Guerre Mondiale, les armées américaines et allemandes utilisaient couramment ce système de tracking interactif, qu’il ne viendrait à l’idée de personne d’appeler des « jeux vidéo ». Pour Baer, Higinbotham ne serait que le père « d’une curiosité de laboratoire ». On ne peut pas parler de « père » s’il n’y a pas « d’enfant » et l’enfant de W.H disparut le jour de son désassemblage. « Il ne fit rien pour sauver son enfant, et pour cause, il ne sut jamais reconnaître le germe d’un produit ».

German-American game developer Ralph Baer shows the prototype of the first games console which was invented by him during a press conference on the Games Convention Online in Leipzig, Germany in 2009. Baer died in 2014. He was 92.
Ralph Baer présente son prototype du premier jeu vidéo

Pour Baer, Steve Russell ne peut pas non plus prétendre au titre « d’inventeur du jeu vidéo », même s’il reconnaît qu’il fut le premier à programmer un jeu. Mêmes motifs que pour le précédent : pas de brevet et pas de vision industrielle.
Ainsi le texte de Baer ne laisse pas beaucoup de place au débat historique : « Seuls deux hommes peuvent revendiquer la paternité du jeu vidéo : Nolan Bushnell et Ralph Baer. Bushnell construisit un jeu d’arcade (Computer Space) en 1969 qui utilisait a raster-scan TV monitor Display. Le jeu ne fut pas un succès ». Baer qualifie clairement Bushnell de « père du jeu vidéo d’arcade ». Et il conclut ainsi : « Je suis venu avec le concept de jeu sur interface télé standard en septembre 1966 (The Brown Box) dont la licence fut créée en 1970 par Magnavox et devint l’Odyssey 1TL200 en 1972. A peu près 100.000 consoles furent vendues cette année par Magnavox. Il y avait là une invention, le développement d’une idée, le marketing de cette idée. Ainsi, je suis clairement le père du jeu vidéo personnel (Home Video Games). Par incidence, la compagnie de Bushnell, Atari, fut la première à prendre une licence sous mon brevet dans les années 70. Le fait que Bushnell développa Pong après avoir joué à un jeu de Ping-Pong sur une Odyssey 1TL200 à une démonstration de Magnavox de Los Angeles en mai 1972 est aussi bien connu. Je recommande fortement aux sites internet consacrés au jeux vidéo en particulier de refléter les faits tels qu’ils sont et non de réécrire l’histoire sur de fausses informations » (1)

Afin de se dégager du caractère passionné et nécessairement subjectif de ce débat, il apparaît utile de revenir sur la genèse des premiers jeux, et de comprendre l’apport respectif de ces quatre inventeurs.

(1) La firme américaine est à cette période dans une position qui n’est pas sans rappeler celle de Bill Gates près de cinquante ans après, vis-à-vis de la juridiction américaine. Au début des années 1950, une plainte est déposée contre IBM alléguant des pratiques de monopole dans le marché des ordinateurs, en violation de la loi de Sherman. Une cour de district américaine rend un jugement final en janvier 1952. Un décret de consentement est signé par IBM lui imposant des limitations sur la manière de faire des affaires dans le domaine des « machines électroniques pour le traitement des données ».