II. 1958. Willy Higinbotham, « le grand père » du jeu vidéo

William Higinbotham
William Higinbotham

William Higinbotham est né en 1912. En 1958, cet homme a une longue et brillante carrière de physicien derrière lui et travaille pour le Brookhaven National Laboratory d’Upton (Etat de New York, Long Island) depuis 1947, un centre de recherche nucléaire gouvernemental. Il a participé aux premiers essais de la bombe nucléaire à Los Alamos, et a conçu le système de retardement de la première bombe atomique (projet Manhattan), ce qui l’amènera plus tard à militer contre la prolifération des armes nucléaires et à la fin des années 60 à participer à la création du Brookhaven Safeguard Group, un bureau de vérification ayant pour vocation de réglementer l’utilisation des ces armes et d’en limiter les retombées écologiques.

A la fin des années 50, nous sommes en pleine guerre froide, les organismes comme le BNL sont soumis à une forte pression médiatique et se voient contraints de mettre au point des plans de communication en direction du public américain, un public alors certain d’avoir à vivre un jour une catastrophe militaire ou écologique majeure. Le BNL décide alors d’organiser des journées  » portes ouvertes  » dont le but est d’informer et de rassurer le public sur la maîtrise de ces technologies. C’est dans ce contexte qu’il vient à l’idée de Willy Higinbotham de créer une attraction autour des machines perfectionnées de son département. Il s’y trouve justement un ordinateur analogique (à variation de tension) et un oscilloscope servant à représenter la trajectoire des missiles (le système est non programmable et fait de relais électromagnétiques, de potentiomètres, de résistances d’amplificateur opérationnel). Willy H. programme en deux jours un petit jeu de tennis afin de faciliter la manipulation de l’engin par les visiteurs. Le cours et le filet vus de profil sont représentés par un T à l’envers, apparaissent en alternance sur l’écran de l’oscilloscope tandis que l’ordinateur calcule les déplacements de la balle. Les raquettes ne peuvent se déplacer latéralement et n’apparaissent pas. Le joueur utilise une molette pour faire varier leur angle de tir. Ils doivent utiliser un bouton rotatif et un bouton poussoir pour tirer au moment où la balle arrive dans leur air de jeu, sans quoi celle-ci s’écrase et ils ont perdu la partie (ils peuvent tirer à n’importe quel moment une fois que la balle est dans leur camp). « Si les circuits du système utilisent encore des relais analogiques à lampes, on y trouve aussi quelques transistors, un resistor permet de simuler la vitesse du vent ». Les rebonds étaient simulés quand la balle touchait le filet, elle rebondissait moins que sur le sol et disparaissait. Willy Higinbotham pensa un temps à créer un jeu pour faire atterrir un vaisseau sur la lune mais décida d’en rester là.

Tennis Programming
Tennis Programming

Tennis Programming rencontre un vif succès auprès des visiteurs qui se désintéressèrent du reste de la visite. Il sera montré pendant deux ans. L’un de ces visiteurs participera plus de vingt ans après à bâtir la légende. Il s’agit de David Ahl, un ingénieur, rédacteur en chef du magazine Computer Creative au début des années 80, mais aussi l’un des tous premiers historiens des jeux vidéo. En 1981, le BNL publie dans son bulletin officiel le premier historique de l’invention d’Higinbotham avançant pour la première fois que W. H pourrait bien être l’inventeur du jeu vidéo. Nous sommes alors en plein âge d’or du jeu vidéo d’arcade et sur consoles de salons. Les jeux d’arcades réalisent aux Etats-Unis un chiffre d’affaires de cinq milliards de dollars, le débat sur les brevets sont loin alors d’être des combats de chiffonniers.

David Ahl envoie le journaliste John Anderson rencontrer W.Hinginbotham et son ami Dave Potter à Long Island en octobre 1982. L’article de John Anderson intitulé « Who really invented The Video Game » sera republié pendant l’été 1983 dans Video and Arcade Games (Vol 1, n°1). D.Ahl écrira dans son livre Computer Games qu’il joua en personne au premier jeu vidéo, en 1958 au BNL. L’information sera largement relayée par le BNL et lui servira à construire sa légitimité. Voici quelques extraits de cette enquête :  » Dave Ahl, mon patron, était un étudiant de la High School. Il avait obtenu une bourse scolaire, dont l’un des bénéfices fut une visite au Brookhaven National Laboratory à Upton. Quelque chose qu’il avait vu sur un écran d’ordinateur resta gravé dans sa mémoire pendant de nombreuses années, et cela me valut entre autre un pèlerinage personnel. Environ 25 ans après, je me trouvais sur l’autoroute de Long Island. Il me sembla que le laboratoire était à quelques pas de la centrale nucléaire Stroreham. Brookhaven est une fondation du Gouvernement, et je me sentais nerveux à l’arrivée du poste de contrôle. Le gardien me donna un morceau de papier en disant froidement « Passez une bonne journée ». Après inspection, le papier semblait être un plan de visiteur. Mon adrénaline montait […] A partir de là, juste une montée d’escaliers vous sépare de l’un des grands héros de notre temps, Willy Higinbotham« .

W. Higinbotham est décédé en 1994 à l’âge de 82 ans. Dans un article du New York Times daté du 15 novembre 1994, Ronald Sullivan le surnomme « le Grand père du jeu vidéo » (2). En 1997 pour le cinquantenaire du BNL, les chercheurs du Brookhaven National Laboratory, notamment Alexander Elia, décident de reconstruire le dispositif de W.H (3). Un film vidéo est réalisé, que l’on peut trouver aujourd’hui sur le site web du service de recherche-développement du département de l’énergie américain. Par la suite William B. Higinbotham, le fils de Willy H., lui-même scientifique, mettra en ligne une série de documents sur son père, une bibliographie des ouvrages et des articles, la liste des procès menés par Magnavox contre ses concurrents, mais encore deux schémas originaux datant de 1958 sur le dispositif « Tennis for two ».

(2) New York Times, jeudi 15 novembre 1984.

Sur les entretiens et articles consacrés à W.H, citations :
 » Ce n’est pas quelque chose qui intéressait le gouvernement  » déclare W. H en 1983.
 » Je pense que mon jeu ou une modification sur télé aurait pu être produit à petit prix à partir de 1960  » in (Invention & Technology, automne 1990, Frederic D. Shwarz).
In Islip Bulletin, Bay Store, NY, 26 mars 1981 :  » But if I had realized just how signifiant it was, I would have taken out a patent ans the U.S government would own it « .
 » Quand je joue c’est en général contre ma fille, qui est une wiz, et je perds toujours. Pinball est plus mon jeu « . Article de Mona S.Rowe.
On voit une reproduction du shéma de Tennis Programming. Datée du 15 octobre 1958. Autre source : TV Clips, 19 juin 1989 de 6h30 à 7h30. Reportage de Scott Cohn sur le BNL. Interview de W.H. Page 46 du catalogue du cinquantenaire du BNL en 1997, on voit une photo élargie du dispositif Tennis Programming.

(3) La technologie ayant considérablement changé, ils furent obligés de remplacer les amplis à lampes par des circuits intégrés, ce qui nécessité d’ajouter des composants de sécurité). Une recherche de plusieurs mois a été nécessaire pour retrouver un ordinateur analogique à lampes.